mardi 1 juin 2010

Plus aimable que Boileau


Bien plus aimable que Boileau qui reprochait avec acidité à Viau les derniers vers de Thisbé (Ah, voici le poignard qui du sang de son maître / s'est souillé lâchement, il en rougit le traître), Catherine Robert de la Terrasse a été, elle, sensible à l'écriture de Théophile, et à ses interprètes. La fin "poignardante" est qualifiée de "poignante". Heureuse évolution : nous en rougissons !

Critique /
Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé

Benjamin Lazar met en scène Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau. Un spectacle à la manière du Grand Siècle qui allie raffinement dramaturgique et beauté des effets.

Force est de reconnaître que le parti pris de fidèle exigence qui est celui de Benjamin Lazar et de ses compagnons déroute d’emblée l’œil et l’oreille. Le metteur en scène et concepteur de cet art de jouer qui reproduit les us scéniques de la scène classique le reconnaît volontiers : sa manière prête d’abord à sourire tant le parler contemporain écrase désormais le français que ces jeunes artistes osent ressusciter dans la complexité et la forme originelles de sa diction. Mais on se plaît bientôt à comprendre ce qu’on entend et à admirer la force évocatrice de gestes qui semblaient d’abord hiératiques et maniérés. La langue devient objet théâtral d’être ainsi restaurée dans la richesse de la rime et du rythme : chaque syllabe, mieux encore, chaque phonème apparaît comme la note indispensable d’un discours devenu mélodie. Exhaussant la beauté de la poésie de Théophile de Viau, les comédiens rendent ainsi à leur art sa vertu esthétique première et se font les orfèvres précis de ce projet auquel s’attache la compagnie depuis plusieurs spectacles de restituer à chaque fois « un événement de langage ».

Intelligence et sensibilité

Eclairée à la bougie, la scène offre des clairs-obscurs qui sculptent les chairs et jouent avec la précieuse beauté des costumes. L’or et le noir colorent des tableaux tous plus élégants les uns que les autres, des émouvants rendez-vous clandestins entre les jouvenceaux aux éclatants moments de colère d’un monarque tyrannique qui confond son désir et la loi. La forme très élaborée de la mise en scène et du jeu, loin d’écraser le fond et d’atténuer l’intrigue, en porte au contraire l’intensité à son maximum, en particulier dans la scène de remords de la mère de Thisbé, qui comprend trop tard qu’elle doit protéger les amours de sa fille, et dans la scène finale où, l’un après l’autre, Pyrame et Thisbé se poignardent pour avoir perdu l’un son « âme » et l’autre son « cœur ». Le spectacle de la passion amoureuse est rarement montré de façon aussi poignante et aussi belle que le font Benjamin Lazar et Louise Moaty qui font chanter la beauté de la poésie de Théophile de Viau avec un talent époustouflant et palpitant. Tous les comédiens sont d’une précision et d’une justesse rares et l’ensemble compose un spectacle dont on doit saluer non seulement l’intelligence mais aussi la magnifique sensibilité. Remarquable hommage à ce XVIIème siècle qui sut, peut-être mieux que tout autre, allier ces deux qualités en n’ayant de cesse d’interroger leurs rapports…

Catherine Robert
Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau ; mise en scène de Benjamin Lazar. Du 27 mai au 12 juin 2010. Le mardi à 19h ; du mercredi au samedi à 20h. Matinées exceptionnelles le 6 juin à 16h et le 12 juin à 15h. Athénée Théâtre Louis-Jouvet, square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7, rue Boudreau, 75009 Paris. Réservations au 01 53 05 19 19. Durée : 1h45.

http://www.journal-laterrasse.com/les-amours-tragiques-de-pyrame-et-thisbe-1-5742.html

1 commentaire:

Sylvie C. a dit…

Soirée magique. Quel texte, quels acteurs, quel travail magnifique ! Bravo et grand grand merci !