dimanche 6 juin 2010

Babylone-news




"Toute autre est l'ardeur que déploie la troupe de Benjamin Lazar dans Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau (1590-1626). Ici, ce n'est pas le décor qui est authentique, mais la langue et la lumière. Benjamin Lazar a en effet à coeur de parler la poésie de Théophile de Viau en prononçant diphtongues et finales, comme en 1623, quand fut créée la pièce. Passé l'effet de pittoresque, c'est la chair même de la langue qui soudain installe un espace inattendu, le son qui se fait scénographie, la voix qui domine les corps et leur donne dimension. Et sous l'éclairage à la bougie de ce temps-là, nous voilà transportés par les timbres de jeunes acteurs transfigurés par le verbe (Benjamin Lazar en personne et la divine Louise Moaty). C'est magique. D'autant que Théophile de Viau reprend d'Ovide une sublime histoire d'amour contrarié qui inspira aussi Shakespeare dans Roméo et Juliette ; et y apporte encore un insolent parfum de rébellion chez ces amants décidés à défendre jusqu'au suicide leur passion interdite. Le très libertin poète ne fut-il pas lui-même emprisonné pour ses écrits et idées ? A travers sa « reconstitution » vocale d'époque, Benjamin Lazar ne cède, lui, à aucune paresse. Il cherche à capter l'esprit. Comme si le chant des voix réveillait l'essence même du texte. Il y réussit."
TELERAMA, 5 juin 2010

"Par une fente dans le mur, nos deux amants préparent à la hâte leur fuite, pour échapper à leurs familles, au roi concupiscent et à ses sbires criminels. On imagine comme dans un rêve le mur de pierre blême, parcouru de feuillages sombres sous la lune ; puis la forêt profonde, peuplée de bêtes sauvages où Pyrame et Tisbé se sont donné rendez-vous. C'est la magie du texte de Théophile de Viau (1590-1626) - aîné de nos trois gloires, Corneille, Racine et Molière -qui en alexandrins fleuris suggère l'amour furieux, dans un monde mythique, tutoyant les dieux de l'Olympe. C'est la magie aussi de la mise en scène de Benjamin Lazar, dramaturge surdoué, qui, en de sobres effets, recrée un univers précieux et enchanté au Théâtre de l'Athénée.
Car, sur la scène, il n'y a rien d'autre que la nuit et les flammes du cosmos : pas de toile peinte, de lions dorés. Mais un espace vide, seulement peuplé de bougies, alignées sur la rampe et sur des portants, figurant portes ou fenêtres vides. Un simple lustre, sorte de mobile à la Calder, descend lorsque le roi paraît. Et des éclats de matières suspendus à des fils tremblotent comme de lointaines étoiles dans la scène finale. Esprits de la forêt, deux figurants habillés de noirs, manipulent ces arbres de cires, qui éclairent les héros, leur visage poudré, leur costume noir et or. « Les amours tragiques de Pyrame et Thisbé », inspirés des « Métamorphoses » d'Ovide (comme « Roméo et Juliette » et au « Songe d'une nuit d'été ») se jouent dans un trou noir du temps. C'est un moment rare de grâce extraterrestre qui est offert au spectateur.
Benjamin Lazar, trente-trois ans, cultive depuis quelques années déjà avec bonheur la fibre baroque dans le domaine théâtral et lyrique (son premier « triomphe » fut le « Bourgeois gentilhomme », créé en 2004). « Les Amours tragiques de Pyrame et Tisbé » marquent un retour au théâtre pur. Si ce n'est que dans la tradition baroque, le théâtre reste proche de la danse (par sa gestuelle sophistiquée) et du chant (par son étonnant phrasé). Les rappeurs et slameurs au fond n'ont rien inventé.

Un couple intemporel

Au début, le public non averti est forcément dérouté : les comédiens déclament avec un drôle d'accent (mi-québécois, mi-bourguignon) en roulant les « r » et prononcent en fin de vers toutes les consonnes (les cieux deviennent les cieusses, aimer « aimerrre »). Du coup le vieux « françois » devient langue nouvelle… Benjamin Lazar crée un « théâtre de la cruauté » style XVII e où tout concourt - lumière, perruques, maquillages, costumes, voix et gestes… -à nous transporter dans un ailleurs sorcier.
D'autant qu'il est excellent comédien, Benjamin. Pyrame solaire, il entraîne toute la troupe dans un jeu virtuose, codifié, mais vibrant et très actuel. Avec Louise Moaty (Thisbé), il forme un couple intemporel de jeunes gens passionnés. Il n'oublie pas de ponctuer les amours tragiques d'éclairs comiques : Nicolas Vial en roi lion bellâtre et cruel fait sourire, de même que Julien Cigana, son âme damné, irrésistible en crapule philosophe. Le comédien-metteur en scène réussit parfaitement le morceau de bravoure de la mort des amants, qui clôt curieusement la pièce, en deux monologues fleuves. La forêt devient mystérieuse, hostile puis tombeau de marbre… En deux petites heures irréelles, Benjamin a restitué toute la poésie et l'insolence de Théophile, magnifiant l'amour absolu et jaloux, brocardant la vieillesse, étouffant la raison avec les mots de la passion."

LES ECHOS, 31 mai 2010

Julien Cigana et Alexandra Rübner, photo de répétitions (Christophe Naillet)

Aucun commentaire: