vendredi 11 juin 2010

"Poignard, ceci est ton fourreau"




Avec les 2 dernières représentations des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé à l'Athénée ce samedi 12 juin,

la saison 09-10 s'achève.

Merci à tous ceux qui ont suivi les créations (Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé / Au web ce soir / Fables)

et les reprises (Les Caractères / La la la / Le Bourgeois Gentilhomme /Comment Wang-Fô fut sauvé)

et rendez-vous la saison prochaine :

"Une fois tous les ans nous vous voyons mourir
Une fois tous les ans nous vous voyons fleurir"
- Thisbé, Acte V scène 2.

(photo Patrick Naillet par Christophe Naillet)

mercredi 9 juin 2010

Babylone-news, suite




Les amours tragiques de Pyrame et Thisbé

Par Armelle Héliot


Benjamin Lazar met en scène et joue le rôle-titre de la pièce magnifique de Théophile de Viau. L'auteur du XVIIè siècle est rarement joué. Le metteur en scène restitue la prononciation du temps entouré de comédiens aussi doués que lui. Rien n'est figé, tout est vivant, bouleversant.

Il y a une beauté de l'esthétique de Benjamin Lazar. Une scénographie très sombre d'Adeline Caron, éclairée de quinquets à l'avant-scène et des panneaux à bougies imaginés par Christophe Naillet. Ces éléments sont déplacés au fur et à mesure que passent les actes. Le noir domine, comme dans les somptueux costumes d'Alain Blanchot. C'est tout. Ci-desous l'une des très belles photographies de Nathaniel Baruch : lorsqu'entre le Roi, les lustres descendent...

L'essentiel est le jeu. Le surgissement des personnages avec leurs maquillages particuliers (Mathilde Benmoussa) et la manière de dire des interprètes qui, rappelons-le, prononcent à l'ancienne en faisant notamment entendre toutes les consonnes finales. C'est une langue française un peu étrangère qui exige une écoute soutenue. Mais la langue de Théophile de Viau est si belle, que l'on est subjugué de bout en bout.

Par la musicalité très tenue et par l'émotion qui submerge car l'œuvre est immense, d'une puissance fascinante. Pyrame et Thisbé, on connaît surtout par la scène des artisans dans Le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare...L'histoire est telle celle de Roméo et Juliette : les amours contrariées et tragiques de deux jeunes gens. Pyrame, incarné par Benjamin Lazar et Thisbé, jouée merveilleusement par Louise Moaty. C'est très beau. Citons les autres interprètes : Nicolas Vial, le roi jaloux, Anne-Guersande Ledoux, la mère de Thisbé, Alexandra Rübner, qui passe d'un personnage à l'autre avec intelligence, Lorenzo Charoy qui fait de même, Julien Cigana, Bersiane et Syllar. Tous unis, personnels, précis, musicaux, bouleversants. Magnifique pour qui aime la langue et l'émotion poétique.

Théâtre de l'Athénée, jusqu'au 12 juin, 20h30 jusqu'à samedi. Durée : 1h45 sans entracte (01 53 05 19 19).

http://blog.lefigaro.fr/theatre/2010/06/pyrame-et-thisbe.html

photo : Nathaniel Baruch

dimanche 6 juin 2010

Babylone-news




"Toute autre est l'ardeur que déploie la troupe de Benjamin Lazar dans Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau (1590-1626). Ici, ce n'est pas le décor qui est authentique, mais la langue et la lumière. Benjamin Lazar a en effet à coeur de parler la poésie de Théophile de Viau en prononçant diphtongues et finales, comme en 1623, quand fut créée la pièce. Passé l'effet de pittoresque, c'est la chair même de la langue qui soudain installe un espace inattendu, le son qui se fait scénographie, la voix qui domine les corps et leur donne dimension. Et sous l'éclairage à la bougie de ce temps-là, nous voilà transportés par les timbres de jeunes acteurs transfigurés par le verbe (Benjamin Lazar en personne et la divine Louise Moaty). C'est magique. D'autant que Théophile de Viau reprend d'Ovide une sublime histoire d'amour contrarié qui inspira aussi Shakespeare dans Roméo et Juliette ; et y apporte encore un insolent parfum de rébellion chez ces amants décidés à défendre jusqu'au suicide leur passion interdite. Le très libertin poète ne fut-il pas lui-même emprisonné pour ses écrits et idées ? A travers sa « reconstitution » vocale d'époque, Benjamin Lazar ne cède, lui, à aucune paresse. Il cherche à capter l'esprit. Comme si le chant des voix réveillait l'essence même du texte. Il y réussit."
TELERAMA, 5 juin 2010

"Par une fente dans le mur, nos deux amants préparent à la hâte leur fuite, pour échapper à leurs familles, au roi concupiscent et à ses sbires criminels. On imagine comme dans un rêve le mur de pierre blême, parcouru de feuillages sombres sous la lune ; puis la forêt profonde, peuplée de bêtes sauvages où Pyrame et Tisbé se sont donné rendez-vous. C'est la magie du texte de Théophile de Viau (1590-1626) - aîné de nos trois gloires, Corneille, Racine et Molière -qui en alexandrins fleuris suggère l'amour furieux, dans un monde mythique, tutoyant les dieux de l'Olympe. C'est la magie aussi de la mise en scène de Benjamin Lazar, dramaturge surdoué, qui, en de sobres effets, recrée un univers précieux et enchanté au Théâtre de l'Athénée.
Car, sur la scène, il n'y a rien d'autre que la nuit et les flammes du cosmos : pas de toile peinte, de lions dorés. Mais un espace vide, seulement peuplé de bougies, alignées sur la rampe et sur des portants, figurant portes ou fenêtres vides. Un simple lustre, sorte de mobile à la Calder, descend lorsque le roi paraît. Et des éclats de matières suspendus à des fils tremblotent comme de lointaines étoiles dans la scène finale. Esprits de la forêt, deux figurants habillés de noirs, manipulent ces arbres de cires, qui éclairent les héros, leur visage poudré, leur costume noir et or. « Les amours tragiques de Pyrame et Thisbé », inspirés des « Métamorphoses » d'Ovide (comme « Roméo et Juliette » et au « Songe d'une nuit d'été ») se jouent dans un trou noir du temps. C'est un moment rare de grâce extraterrestre qui est offert au spectateur.
Benjamin Lazar, trente-trois ans, cultive depuis quelques années déjà avec bonheur la fibre baroque dans le domaine théâtral et lyrique (son premier « triomphe » fut le « Bourgeois gentilhomme », créé en 2004). « Les Amours tragiques de Pyrame et Tisbé » marquent un retour au théâtre pur. Si ce n'est que dans la tradition baroque, le théâtre reste proche de la danse (par sa gestuelle sophistiquée) et du chant (par son étonnant phrasé). Les rappeurs et slameurs au fond n'ont rien inventé.

Un couple intemporel

Au début, le public non averti est forcément dérouté : les comédiens déclament avec un drôle d'accent (mi-québécois, mi-bourguignon) en roulant les « r » et prononcent en fin de vers toutes les consonnes (les cieux deviennent les cieusses, aimer « aimerrre »). Du coup le vieux « françois » devient langue nouvelle… Benjamin Lazar crée un « théâtre de la cruauté » style XVII e où tout concourt - lumière, perruques, maquillages, costumes, voix et gestes… -à nous transporter dans un ailleurs sorcier.
D'autant qu'il est excellent comédien, Benjamin. Pyrame solaire, il entraîne toute la troupe dans un jeu virtuose, codifié, mais vibrant et très actuel. Avec Louise Moaty (Thisbé), il forme un couple intemporel de jeunes gens passionnés. Il n'oublie pas de ponctuer les amours tragiques d'éclairs comiques : Nicolas Vial en roi lion bellâtre et cruel fait sourire, de même que Julien Cigana, son âme damné, irrésistible en crapule philosophe. Le comédien-metteur en scène réussit parfaitement le morceau de bravoure de la mort des amants, qui clôt curieusement la pièce, en deux monologues fleuves. La forêt devient mystérieuse, hostile puis tombeau de marbre… En deux petites heures irréelles, Benjamin a restitué toute la poésie et l'insolence de Théophile, magnifiant l'amour absolu et jaloux, brocardant la vieillesse, étouffant la raison avec les mots de la passion."

LES ECHOS, 31 mai 2010

Julien Cigana et Alexandra Rübner, photo de répétitions (Christophe Naillet)

mardi 1 juin 2010

Plus aimable que Boileau


Bien plus aimable que Boileau qui reprochait avec acidité à Viau les derniers vers de Thisbé (Ah, voici le poignard qui du sang de son maître / s'est souillé lâchement, il en rougit le traître), Catherine Robert de la Terrasse a été, elle, sensible à l'écriture de Théophile, et à ses interprètes. La fin "poignardante" est qualifiée de "poignante". Heureuse évolution : nous en rougissons !

Critique /
Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé

Benjamin Lazar met en scène Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau. Un spectacle à la manière du Grand Siècle qui allie raffinement dramaturgique et beauté des effets.

Force est de reconnaître que le parti pris de fidèle exigence qui est celui de Benjamin Lazar et de ses compagnons déroute d’emblée l’œil et l’oreille. Le metteur en scène et concepteur de cet art de jouer qui reproduit les us scéniques de la scène classique le reconnaît volontiers : sa manière prête d’abord à sourire tant le parler contemporain écrase désormais le français que ces jeunes artistes osent ressusciter dans la complexité et la forme originelles de sa diction. Mais on se plaît bientôt à comprendre ce qu’on entend et à admirer la force évocatrice de gestes qui semblaient d’abord hiératiques et maniérés. La langue devient objet théâtral d’être ainsi restaurée dans la richesse de la rime et du rythme : chaque syllabe, mieux encore, chaque phonème apparaît comme la note indispensable d’un discours devenu mélodie. Exhaussant la beauté de la poésie de Théophile de Viau, les comédiens rendent ainsi à leur art sa vertu esthétique première et se font les orfèvres précis de ce projet auquel s’attache la compagnie depuis plusieurs spectacles de restituer à chaque fois « un événement de langage ».

Intelligence et sensibilité

Eclairée à la bougie, la scène offre des clairs-obscurs qui sculptent les chairs et jouent avec la précieuse beauté des costumes. L’or et le noir colorent des tableaux tous plus élégants les uns que les autres, des émouvants rendez-vous clandestins entre les jouvenceaux aux éclatants moments de colère d’un monarque tyrannique qui confond son désir et la loi. La forme très élaborée de la mise en scène et du jeu, loin d’écraser le fond et d’atténuer l’intrigue, en porte au contraire l’intensité à son maximum, en particulier dans la scène de remords de la mère de Thisbé, qui comprend trop tard qu’elle doit protéger les amours de sa fille, et dans la scène finale où, l’un après l’autre, Pyrame et Thisbé se poignardent pour avoir perdu l’un son « âme » et l’autre son « cœur ». Le spectacle de la passion amoureuse est rarement montré de façon aussi poignante et aussi belle que le font Benjamin Lazar et Louise Moaty qui font chanter la beauté de la poésie de Théophile de Viau avec un talent époustouflant et palpitant. Tous les comédiens sont d’une précision et d’une justesse rares et l’ensemble compose un spectacle dont on doit saluer non seulement l’intelligence mais aussi la magnifique sensibilité. Remarquable hommage à ce XVIIème siècle qui sut, peut-être mieux que tout autre, allier ces deux qualités en n’ayant de cesse d’interroger leurs rapports…

Catherine Robert
Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, de Théophile de Viau ; mise en scène de Benjamin Lazar. Du 27 mai au 12 juin 2010. Le mardi à 19h ; du mercredi au samedi à 20h. Matinées exceptionnelles le 6 juin à 16h et le 12 juin à 15h. Athénée Théâtre Louis-Jouvet, square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7, rue Boudreau, 75009 Paris. Réservations au 01 53 05 19 19. Durée : 1h45.

http://www.journal-laterrasse.com/les-amours-tragiques-de-pyrame-et-thisbe-1-5742.html